Pièce en trois actes
Acteurs: Elektra, la femme amoureuse; Protera, l’amie d’Elektra; Sômatos, le premier prétendant; Kumatos, le second prétendant
La scène se passe dans un aéroport
ACTE I
Elektra, Protera
Elektra
Sont-ce là des moutons transhumant sans cacique,
Perdus, abandonnés, vil troupeau famélique?
Vois Protera vois donc comment ces voyageurs
S’élancent anxieux tout droit vers leurs malheurs.
Rien de plus accablant, je ne puis m’en défendre,
Que de me trouver là sur ce pouf pour attendre.
Protera
Mon Dieu, partout ailleurs, à Venise ou Bani,
Serait meilleur endroit pour boire un Martini.
Remue-ménage, pleurs, clameurs de névrosée
Pour sûr ne prêtent guère à confidence osée.
Elektra
Il fut un temps lointain et pourtant si joyeux,
Lorsque la vie était bienveillante à nos yeux.
Tout semblait si facile, accommodant, allègre.
Notre tête était libre et notre cœur intègre.
Ils s’en sont vite allés les âges sans souci.
J’ai perdu appétence et paix de l’âme aussi.
Protera
Hé! Doucement. Holà! Ce que tu es chagrine.
Je t’ai déjà connue avec meilleure mine.
Quel vilain souvenir ou quel doute fatal,
Quelle atroce douleur te met ainsi à mal
Qu’un verre de cognac ou semblable eau-de-vie
Ne pourrait de nouveau te rendre plus ravie?
On le faisait souvent quand tant et tant de fois,
Nous noyions nos chagrins, et sans raison parfois.
Elektra
Là je te reconnais, détestable mégère,
Traitant graves propos d’emblée à la légère.
En d’autres occasions, le sujet s’y prêtant,
J’aurais aussi souri d’un fâcheux irritant.
Je sais, tu me connais comme une fan finie
Du bon mot assassin mâtiné d’ironie
Mais là c’est autre chose, un cas plus sérieux.
Autre chose, tu vois, qui me pousse aux adieux.
J’ai rencontré naguère en occasion diverse
Deux très nobles garçons d’agréable commerce.
Jamais je n’ai senti ni non plus accepté
D’avoir pour d’autres mecs autant de volupté.
Beaux, fiers et généreux, l’un guerrier l’autre prince.
Ils m’ont plu tout de suite et pour les deux, j’en pince.
Encore eut-il fallu sans suivre le hasard
Ne pas devoir choisir Alexandre ou César.
Protera
Au moment du départ, te voilà nostalgique
Autant peut-être plus qu’une Phèdre tragique.
J’aurais fort rabroué d’un affront bien senti
Celui-là déclarant ton cœur assujetti.
Toi l’indomptable, toi, l’insoumise déesse,
Ne souffrant point d’attache et surtout point de laisse.
Oh ! ma soeur…
Elektra
…Le voici, parcourant à grands pas
Les vastes corridors, mais il ne me voit pas.
Sômatos, il vient! Mon cœur bât la chamade.
Protera
Je m’en vais, je te laisse, à plus tard camarade.
Comment peux-tu subir la situation,
Te laisser envahir par cette passion?
On dirait que, soudain, tout ton passé s’efface.
Ah, tu me fais pitié. Quel fléau ! Quelle poisse!
ACTE II
Elektra, Sômatos
Elektra
Hou hou ! Hou hou ! Chéri !…
Sômatos
…Je t’ai enfin trouvée.
J’ai dû courir partout, me mettre à la corvée.
Mais pourquoi donc, Beauté, si vaste aéroport ?
Serait-ce une façon d’exciter mon transport ?
Elektra
Prends siège, Sômatos, il faut que je te cause.
Sômatos
On le fait dans un lit d’habitude, et pour cause.
Elektra
Tu plaisantes encor…
Sômatos
…Cela ne te plaît point ?
Tu aimes bien pourtant un bon mot juste à point,
Badiner franchement et partir en goguette,
Quand ce n’est pas, Beauté, faire une galipette.
Au moins, que je t’embrasse et te donne un baiser.
Elektra
Toujours, oui, tu m’émeus. Qui pourrait s’en blaser?
C’est ce que j’aime en toi : ta manière directe
Autant que sans détour, galamment incorrecte.
Sômatos
Sans oublier, bébé, le feu de mon ardeur
Qui me fait t’honorer, te combler de bonheur.
Elektra
Audace et confiance, énergie et courage,
Toutes ces qualités, tu les offres en gage.
J’estime chaque instant où je suis dans tes bras.
Mais il faut maintenant, car je m’en vais là-bas,
Je dois (c’est un enfer!)… il faut que j’explicite
Pourquoi, cher Somatos, aujourd’hui je te quitte.
Sômatos
Que dis-tu là, Beauté! Ai-je bien entendu?
Tu ne veux plus de moi, ton amant éperdu.
Douterais-tu encor de mon amour sincère?
Je vois que tu tiens là un petit nécessaire.
C’est ton bagage à main? Comment peux-tu partir?
Je ne puis croire, non, qu’ainsi tout va finir.
Las ! tu pars loin de moi par cette porte étroite.
On dirait que tu fuis, sans prévenir, en hâte.
Elektra
Tu viens de dire « fuir »? Ce n’est pas le bon mot.
M’arracher le cœur, oui! Cramer au chalumeau!
Comment te faire comprendre, âme si noble et chère,
Qui éveilla mon cœur jusqu’alors en jachère ?
Je brûle de te dire en des mots emportés
Et mes ravissements et mes félicités
Hélas, trois fois hélas, j’en suis bien incapable.
(Va Elektra, courage, admets donc misérable!)
Ce que pour toi j’éprouve et qui me trouble tant,
Pour un autre lascar, je le vis tout autant.
Sômatos
Ton discours me saisit comme une douche froide.
Un autre? Est-il plus fort, plus puissant ou plus roide?
Ce maraud! Ce faquin! Qu’a-t-il de plus que moi
Pour ainsi parvenir à te mettre en émoi?
Elektra
Je te l’assure, rien, rien de plus pour me plaire.
Il n’a pas ton bagout, il déteste la guerre.
Je t’aime, Somatos, mais lui également.
Cet état me torture et me tord de tourment.
Au loin je pars asteure, il faut que je m’éloigne
Pour échapper, j’espère, au doute qui m’empoigne
Te faire du mal, cher, est déjà douloureux,
Faire souffrir les deux, c’est plus que je ne peux.
Tu ne t’attendais point à si triste nouvelle.
Surtout, ne te dis pas : « que ferai-je sans elle? »
On peut survivre à tout, je puis en témoigner,
Sans lien, sans attache et tout abandonner.
Adieu, mon cœur, adieu. Peut-être en meilleur monde
Nous nous retrouverons où l’amour surabonde?
Je préfère voler vers un autre horizon,
Chercher la paix de l’âme et soigner ma raison.
ACTE III
Elektra, Kumatos
Kumatos
Oh que faisons-nous là? Mais quel endroit bizarre.
Hélas, on dirait bien le tombeau de Lazare.
Un semblant de bistro dont il n’a que le nom.
Pourquoi pas le Fouquet’s? Tu n’as jamais dit non.
Tu t’envoles, je vois, d’une manière urgente,
Et ce, sans m’avertir. Qu’arrive-t-il, charmante?
Elektra
Un Perrier ? Pour toi, pas de frivolité.
L’eau est ton élixir, ton whisky et ton thé
Tu m’es précieux, cher, comme l’or ou la Bible.
Je suis maillée à toi par un fil invisible,
Lequel est si puissant, si authentique, si…
Kumatos
… Je crains au plus haut point quand tu parles ainsi.
Nous sommes bien pourtant connectés l’un à l’autre
Comme ce qui liait Jésus-Christ à l’apôtre.
Nous entendons tous deux la musique du ciel.
Sans cesse nous guettons l’archange Gabriel.
Nos sentiments sont vifs tels que ceux des mystiques,
Partagés, mutuels, à ce point véridiques.
Elektra
Plus rien de mon destin, je n’en contrôle rien.
Je fais du mal à ceux pour qui je veux du bien.
La franchise? ô horreur, j’en frémis à l’idée.
Pourtant, c’est ce qui m’a depuis toujours guidée.
J’ai pour toi, Kumatos, immense affection,
D’où ce grand désarroi, d’où cette affliction.
Sensible et charitable, attentif et plein d’âme,
Tu as des attributs recherchés par la femme.
Par ton honnêteté, tu as su m’envoûter,
Pour la même raison, il me faut t’éviter.
Kumatos
Femelle, je te sais hautement versatile.
Toujours Ève est tentée. Ô vipère subtile!
Inconstante êtes-vous. Je l’avais accepté.
Mais toi, ma reine, toi! Je t’avais excepté.
Des attraits, j’en ai peu, moins encor de facondes.
Mais sais-tu bien jusqu’où mes amours sont fécondes?
Qu’as-tu fait, ma chérie, et comment as-tu pu?
Je garde peu d’espoir : tu as déjà rompu.
Elektra
Je t’aime tellement, voilà bien le problème
Qui donne à mon visage apparence si blême.
Je dois me repoudrer d’un fond de teint corail
Replacer ce fichu, me parer d’un émail,
Pour calmer mon cœur mû par tant d’incertitude,
Par la fatalité, par mon ingratitude.
Je t’adore bien sûr, je t’idolâtre, mais
Un autre m’adulait pendant que tu m’aimais
Et cette passion ne peut être équivoque
Puisqu’elle est dans mon cas bel et bien réciproque.
Bourrelée, il me faut accomplir ce que dois
Si je veux éviter de faire un mauvais choix.
Faudrait-il souhaiter (je ne puis m’y réduire)
Le meilleur pour vous deux sans attirer le pire
ÉPILOGUE
Elektra, Protera
Protera
Enfin, te revoilà, dans la file d’attente
Craignant d’être en retard, j’ai couru, haletante.
Alors que tu partais ailleurs sous d’autres cieux,
Je m’en serais voulu d’éviter les adieux.
Relève donc la tête, il faut que je te voie ?
Ton œil rougi me dit : « elle a choisi sa voie ».
Elektra
Ah ! Quitter pour toujours des amoureux transis.
Je pars lors que tous deux restent pantois, assis.
J’ai pleuré, il est vrai, oui je n’en ai pas honte.
La souffrance que j’ai, tu dois t’en rendre compte,
Vient de mon aptitude à jeter en enfer
Deux nobles hobereaux tout d’airain et de fer.
Pourtant ai-je le choix lorsque le destin frappe?
Que faire, dis-le-moi, quand le sort te rattrape?
Pour retrouver l’amour, il me faut m’en aller,
Chercher éperdument, toujours, sans m’installer,
Celui dont la grandeur est incommensurable,
Celui portant toujours un masque impénétrable,
Celui de qui la quête offre peu de répit,
Celui qui par-delà le cosmos se tapit,
Celui qui disparaît par dessous l’apparence,
Celui qui s’évalue au prix de l’espérance.
© Supra, reproduction d’une peinture de Marcel Viau : Immensurabilis Mensura
Ce ne serait pas ce que l’on appelle du «slam»?
Fallut-il que je vous aimas, fallut-il que vous me plussiez, pour qu’en vain je m’opiniatras et que vous m’assassinassiez? Mais vous m’épatate là!