Faubourg-Chapitre 17

Robinson s’était réveillé maussade ce matin-là. On était le mercredi 18 juin, soit une douzaine de jours après la mort d’Alma O’Connell et presque une semaine depuis qu’il était arrivé à Québec. Ses deux collègues, Nolan et Don, désespéraient d’arriver à un résultat. Quant à lui, il avait écrit dans son journal de bord qu’il commençait à s’inquiéter de la tournure de son enquête. Dans toute sa carrière, il n’avait jamais connu l’échec. Et il ne voulait surtout pas que cela lui arrive avec la mort d’Alma. Il avait promis à son ami Patrick de trouver le coupable. C’était le moins qu’il puisse faire pour lui.

L’équipe de détectives avait conclu qu’il fallait enquêter maintenant auprès du cercle rapproché d’Alma. Il ne restait pas d’autre option, à moins d’un revirement spectaculaire dans l’enquête. On gardait encore en réserve le directeur du Music Hall. Son alibi était faible. Mais il faudrait le faire avouer, ce qui ne serait pas une sinécure. Avant d’en arriver là, Robinson jugea qu’il fallait en savoir plus sur le cercle d’amies d’Alma. Et même sur ses parents. Pourquoi pas ? Ce qu’il avait appris de la relation plutôt conflictuelle avec son père n’était pas à mettre de côté.

Après être passé au bureau et avoir demandé à Don de le suivre, il se dirigea vers le collège des Ursulines. Là, il en apprendrait davantage sur le passé d’Alma, espérant par le fait même mieux la comprendre. Peut-être pourrait-il expliquer certaines de ses attitudes qui auraient pu provoquer sa perte ? Il en saurait plus sur sa personnalité auprès de celles qui avaient été les plus proches d’elles, ce qui incluait les religieuses l’ayant formée. Après tout, n’est-ce pas au collège que le tempérament des jeunes se fige ?

Le collège des Ursulines faisait partie d’un vaste ensemble de bâtiments construits en pierres de taille grise irrégulières. Près d’une dizaine de bâtiments constituaient l’ensemble. Le tout était entouré de verdure et de quelques terres de culture maraîchère. Les édifices étaient construits sur un mode similaire : bâtiments rectangulaires à deux ou trois étages se terminant par un toit en pente et des lucarnes. Les plus grands devaient comporter plus ou moins une vingtaine de rangées de fenêtres. Quatre édifices dont une grande chapelle fermaient entièrement une grande cour intérieure.

Les deux détectives s’étaient engagés sur la rue Saint-Louis, le chemin le plus court pour se rendre chez les Ursulines. Ils arrivèrent à la rue du parloir, puis s’y engagèrent. Au fond, la rue formait un coude pour se diriger vers la rue des Jardins. Là se trouvait l’aile du Parloir. On pouvait entrer dans le bâtiment en franchissant une clôture en bois et une petite cour intérieure. 

Les deux détectives s’approchèrent d’une grande porte en arche ornementée de belles pierres pâles. Ils pénétrèrent dans un espace plutôt restreint. Devant eux, on pouvait apercevoir une porte en bois à deux battants. À droite, des bancs de bois s’appuyaient sur le mur blanc aveugle. 

Les Ursulines étant des sœurs cloîtrées, il leur était interdit de sortir du monastère. Et pour y entrer, il fallait montrer patte blanche. C’est pourquoi on trouvait, sur la gauche, un système de communication sommaire accueillant les visiteurs. Une voix se fit entendre. Robinson se présenta et demanda de rencontrer la mère supérieure. Après plusieurs minutes d’attente, la porte s’ouvrit et une religieuse toute de noir vêtue d’une robe ample vint les accueillir. Elle invita les deux hommes à s’approcher de la grande porte du cloître, mais ils ne la franchirent pas. Elle les dirigea plutôt vers une autre porte à droite. C’était le parloir pour les invités extérieurs. Ils s’assirent autour d’une petite table.

— Vous êtes de la police, m’a-t-on dit ?

— Nous sommes détectives à la police de Québec, dit Don, et nous nous excusons de faire intrusion ainsi dans votre monastère.

— Si vous êtes ici, c’est qu’il y a sans doute de bonnes raisons ?

— Certes, dit Robinson cette fois. Nous avons besoin de vos lumières à propos de quelques-unes de vos élèves.

— Y a-t-il un problème avec l’une de nos élèves ?

— Non, pas du tout. Nous voulons simplement obtenir des informations sur quatre de vos anciennes élèves qui ont été formées ici entre 1847 et 1854.

— Malheureusement, je ne pourrai pas vous aider beaucoup. Je ne suis à Québec que depuis quelques années. De plus, il est déjà difficile de connaître toutes les élèves que nous avons aujourd’hui ; imaginez donc pour celles qui étaient ici une dizaine d’années auparavant. Toutefois, je vais vous trouver une sœur qui était là à cette époque.

— Merci, nous apprécions beaucoup. Pouvez-vous nous parler du genre de formation que vous donnez aux jeunes filles chez les Ursulines ?

— Certainement. Ça, je peux le faire. Que voulez-vous savoir ?

— Elles sont toutes pensionnaires ?

— Évidemment. Nous avons actuellement plus de 150 jeunes filles, toutes pensionnaires. Et je ne compte pas celles qui sont à l’École Normale.

— J’ai cru comprendre qu’elles reçoivent une formation de haut niveau ?

— Notre réputation dépasse les frontières. Plusieurs jeunes filles nous viennent des États-Unis pour se former avec nous. Nous ne donnons pas seulement de l’instruction, nous éduquons également. La connaissance et la formation personnelle sont indissociables. Et cela, nous ne pouvons le faire que si elles sont pensionnaires.

— Elles sont donc coupées du monde ?

La supérieure garda le silence en fixant alternativement les deux détectives.

— Je vois ce que vous voulez dire. Vous pensez que nous formons des jeunes filles naïves et candides qui auront tout à connaître de la société lorsqu’elles sortiront. C’est tout le contraire, cher monsieur. Nous mettons les jeunes filles en contact avec le monde entier… Attendez…

La religieuse se leva avec une étonnante souplesse, sortit de la pièce et revint quelques minutes plus tard avec des feuilles à la main.

— Voici notre prospectus. Lisez et dites-moi si cela ressemble à une formation coupée du monde.

Les deux détectives lisèrent en même temps le prospectus.

Les cours d’instruction renferment la Lecture, l’Écriture, l’Arithmétique, la Tenue de livres, la Grammaire française, la Grammaire anglaise, la Littérature et la Composition française et anglaise ; l’Histoire sacrée et profane, la Mythologie, la Géographie, l’Usage des Globes, les éléments d’Astronomie, de Physique, de Botanique et de Chimie, sans oublier les arts : l’Orgue, la Harpe, le Piano, la Guitare et l’Accordéon, la Musique vocale, la Peinture, le Dessin, etc.

— Effectivement, reprit Robinson, votre formation est véritablement de haut niveau. 

— Il faut que notre enseignement soit adapté aux changements de notre société afin que les jeunes filles puissent y faire face. La clôture du pensionnat devient, le temps des leçons, une fenêtre ouverte sur le monde.

Après un silence, Robinson dit.

— Vous m’avez annoncé que vous pouviez nous mettre en contact avec une religieuse qui était là à cette époque.

— Oui, j’ai un nom en tête. Elle est très connue au monastère. C’est l’un de nos piliers. Ce n’est pas une religieuse, mais une sœur converse.

Devant l’air surpris de Robinson, Don dit à la religieuse.

— Veuillez pardonner à mon collègue. C’est un anglican et il ne connaît pas beaucoup les communautés monastiques catholiques.

— Ah, je vois, dit la religieuse. Vous savez que nous avons ici quelques jeunes filles d’origine protestante. 

— Donc, reprit Robinson, vous voulez nous présenter une « sœur converse » ?

— Nos sœurs converses s’occupent des tâches matérielles de la communauté. Elles viennent de conditions modestes et n’ont pas la formation requise pour être religieuse. Elles ne sont pas tenues non plus d’assister à tous les offices. Nos sœurs converses effectuent un travail indispensable au collège. Elles s’occupent de la cuisine, font le ménage, gardent les dortoirs. Mais surtout, elles sont très proches des élèves, plus que nous. Elles ont beaucoup de tendresse envers elles et les jeunes filles le leur rendent bien. Cela se comprend, car les sœurs converses n’ont pas le même rôle de discipline que nous. Elles peuvent se permettre de les gâter de temps en temps, comme le ferait leur mère à la maison. Les jeunes filles les appellent « ma tante ».

— Nous vous remercions beaucoup de nous présenter l’une de vos sœurs converses, dit Don.

— Il s’agit de sœur Émilienne. Vous pourrez lui demander n’importe quoi. Vous verrez, elle a une mémoire d’éléphant. Elle a sûrement connu les quatre élèves dont vous m’avez parlé. Je vais même lui donner la permission de vous faire visiter le monastère.

— C’est un privilège que nous apprécions énormément, dit Don, toujours aussi obséquieux envers la religieuse.

— Attendez ici, je reviens avec elle bientôt.

La religieuse sortit. Après un moment de silence, Don regarda Robinson et lui dit.

— Je ne comprends pas où tu veux en venir avec ces questions, Silas.

— C’est très simple, Don. J’ai besoin de connaître le contexte de vie dans lequel ont baigné nos quatre amies. Je crois que c’est même crucial pour notre enquête.

— Et comment cela ?

— Je suis convaincu que la réponse à nos questions se situe dans cette période de la vie d’Alma. Elles ont vécu beaucoup de choses ensemble. C’est à cette époque que leurs relations et leurs attitudes se sont fixées. 

— Je reste perplexe quand même. Qu’a-t-il bien pu se passer de si spécial dans leur jeunesse ? Tu as vu comment les sœurs s’occupent de près de la formation des jeunes filles.

— Je ne dis pas qu’il a pu se passer des choses spéciales. J’ai seulement l’intuition que c’est cette période de leur vie qui va nous permettre d’éclaircir leur situation actuelle. Tu sais, parfois le passé est garant de l’avenir. Ce n’est pas une certitude, c’est surtout une intuition. Au point où nous en sommes, il faut faire confiance à nos intuitions, n’est-ce pas ?

Sur ces paroles, deux femmes entrèrent dans le local. L’une d’elles portait une grande robe blanche et un voile noir qui lui descendait dans le dos. Elle était nettement plus âgée que la Supérieure.

La sœur en robe blanche s’avança vers les détectives d’un pas décidé. Elle était petite et bien enveloppée. On aurait dit une tabatière ambulante, mais toute blanche. Son pas était rapide et énergique. On ne voyait que son visage buriné. Peut-être avait-elle une bonne cinquantaine d’années ?

La sœur avança une main rude et marquée de crevasses à Robinson, puis à Don, en les serrant vigoureusement.

— Révérende mère me dit que vous voulez visiter le monastère et le collège ?

— Ce serait un honneur, dit Don d’un ton toujours aussi complaisant.

— Alors, venez, suivez-moi.

La sœur repartit d’un pas si rapide que les deux détectives eurent à peine le temps de saluer la Supérieure avant de la suivre. Elle ouvrit la porte et s’engouffra en vitesse dans un long corridor blanc. À gauche, des portes en bois vernis, à droite, une série de fenêtres profondément enfoncées dans le mur. La sœur se tourna en marchant.

— Êtes-vous intéressés par l’histoire, messieurs ?

— Assurément, dit Robinson en français. J’aime beaucoup les vieux bâtiments du Canada.

— Alors, vous serez servi. Nous allons commencer par visiter le sous-sol.

Au bout du couloir, ils descendirent un escalier en bois ouvragé qui menait à un demi-sous-sol. Le couloir, d’un blanc immaculé, était voûté. De petites fenêtres perçaient parfois des murs d’une épaisseur de trois ou quatre pieds. Sur le sol, des dalles de grès ou d’ardoise noire avaient été posées de façon irrégulière. Le pas des détectives résonnait avec écho.

— À votre accent, je devine que vous êtes britannique ? demanda la sœur en s’adressant à Robinson.

— Effectivement. Je suis né à Londres, mais je suis Canadien maintenant.

— Alors, vous serez peut-être surpris de savoir que l’un de vos compatriotes a déjà séjourné ici : le général Murray.

— Ah bon !

— Juste après la conquête, les officiers britanniques cherchaient un lieu où déposer leurs pénates. La guerre avait endommagé beaucoup d’édifices avec les boulets. Mais comme vous le voyez, les murs sont si épais que le monastère est resté presque intact.

La sœur s’arrêta en face d’une petite salle fenestrée.

— Ne regardez pas le désordre. C’est maintenant notre salle de repassage. Ce fut aussi la salle d’état-major du général Murray il y a une centaine d’années.

Toujours à la poursuite de la sœur, les détectives s’acheminèrent vers une autre salle plus grande.

— C’est ici que le général rendait justice. C’était un homme sévère et il fit pendre plusieurs personnes, dont la Corriveau.

Devant l’air dubitatif des deux hommes, elle ajouta.

— Ce fut une affaire célèbre à Québec. La Corriveau avait tué son mari. Il y a même des légendes qui courent à son sujet. J’ai autre chose à vous montrer.

Les détectives suivirent la sœur jusqu’au bout du corridor, descendirent plusieurs marches et se retrouvèrent alors dans un sous-sol fermé, à peine éclairé par des lampes à gaz.

— Vous voyez ce grand foyer et cette petite porte ici ?

La sœur ouvrit la porte qui laissa voir un trou béant descendant au plus profond.

— C’est le puits original du monastère.

Elle s’arrêta à une autre porte qu’elle ouvrit pour faire voir un four à pain.

— Tout cela existait du temps de Marie de l’Incarnation, notre fondatrice au Canada. Ces différents appareils étaient situés à l’extérieur du monastère d’origine construit en 1650, à cause du danger d’incendie. 

— Impressionnant, dit Robinson. Merci pour cette leçon d’histoire, sœur Émilienne. Nous aimerions maintenant que vous nous parliez de certaines élèves que vous avez connues jadis.

— Avec plaisir, si je peux vous être utile. 

Sans attendre la réponse, la sœur repartit d’un pas rapide, monta deux étages dans un magnifique escalier de bois ouvragé et s’achemina vers une grande pièce : salle commune des religieuses. Un des murs était couvert de boiseries foncées contrastant avec les murs blancs, et de grandes fenêtres éclairaient la salle.

— Voici le portrait de notre fondatrice, dit la sœur en montrant un tableau à l’huile. Elle tient dans ses bras un petit indien. Donc, vous voulez en savoir plus sur certaines élèves ?

— Oui. Il s’agit d’élèves qui ont été formées ici il y a une dizaine d’années.

Robinson donna le nom du cercle des amies d’Alma.

— Ah oui, les cavaliers de l’Apocalypse. Qui ne s’en souviendrait pas.

Devant l’air ébahi des deux hommes, la sœur se crut obligée d’ajouter :

— Je les appelais comme ça. Vous savez évidemment que les cavaliers de l’Apocalypse étaient quatre ?

— Vous semblez bien vous en souvenir ?

— C’est certain. Elles étaient toujours fourrées ensemble ; elles faisaient tout ensemble, même les mauvais coups. Je travaille à la cuisine souvent. Il est arrivé plusieurs fois qu’elles m’ont fait des coups pendables. Une fois, elles ont mis du sel dans le récipient de sucre. Je vous dis que les tartes avaient un bien mauvais goût, dit la sœur avec un tendre sourire.

— Parce qu’elles faisaient souvent des mauvais coups ?

— Messieurs, c’est un collège de jeunes filles ici et je peux vous dire que la grande majorité d’entre elles sont délurées, énergiques et bien en vie. Quant à moi, je préfère les filles vivantes et dégourdies, plutôt que celles qui restent seules dans leur coin. Je dirais même que deux filles qui se tiennent toujours ensemble, c’est malsain. C’est vrai que nos mères (les religieuses) n’aimaient pas toujours cette horde de cavaliers de l’Apocalypse. Mais elles étaient inséparables et tellement attachantes.

— C’était de bonnes étudiantes ?

— Absolument. Toutes des premières de classe. 

Sœur Émilienne repartit sans dire un mot. Les deux hommes furent obligés de la suivre. Ils longèrent d’autres corridors tout blancs où des salles de classe étaient aménagées. La sœur leur montra une petite fenêtre de l’une des portes. Les deux hommes jetèrent un coup d’œil dans la salle où de jeunes filles en uniforme étaient assises sagement deux par deux devant un pupitre en bois.

— La discipline est stricte au collège, n’est-ce pas ?

— À qui le dites-vous ! Trop parfois ! On ne laisse pas le temps aux filles de respirer, entre les leçons, les temps d’études, les prières, les repas…

Elle repartit aussitôt vers une autre destination du monastère pour aboutir au réfectoire cette fois, une vaste salle où de nombreuses tables rectangulaires, couvertes de draps blancs, étaient aménagées.

— C’est ici que la discipline est la plus stricte. Les filles entrent deux par deux et se dispersent en silence vers leur place. Chaque fille a son propre tiroir d’où elle tire son couvert pour le mettre sur la table. Les repas se déroulent dans un silence strict. Seule la voix de la lectrice brise ce silence.

— Vous disiez que, malgré la stricte discipline, elles parvenaient à faire de mauvais coups ? On les punissait alors ?

— Rarement. Quand les choses se passaient devant mes yeux, je me contentais de les réprimander. De toute façon, ici chez les Ursulines, on ne punit que les cas graves.

— Y a-t-il des espaces où elles pouvaient se détendre, s’amuser ?

— C’est certain. Elles en profitaient lors des récréations. Elles lâchaient leur fou, comme on dit. Puis, il y a une grande salle où l’on retrouve plusieurs jeux. Le groupe des plus grandes pouvait même organiser des spectacles. Les cavaliers de l’Apocalypse l’ont fait plusieurs fois. C’est Alma qui les organisait. C’était la chef de groupe, c’est certain. C’est même elle qui organisait des coups pendables qu’elle faisait exécuter par les autres. Elle pensait que je n’étais pas au courant. Cette chère Alma, qu’est-elle devenue ?

— Je dois malheureusement vous annoncer qu’elle est décédée.

— Oh non ! Ce n’est pas vrai ! Une fille si forte, si énergique…

La sœur ne demanda pas la cause de la mort d’Alma et Robinson se garda bien de le lui dire. Le détective se dépêcha de poser une autre question.

— Avez-vous autre chose à nous faire visiter ?

— Il y a l’infirmerie bien sûr. Également, le dortoir.

— Cela m’intéresserait de visiter le dortoir

— Ce n’est pas très sorcier. Tous les dortoirs de tous les monastères se ressemblent. Venez donc avec moi.

Sœur Émilienne repartit au pas de course. Ils se retrouvèrent rapidement dans un grand espace où des lits étroits étaient alignés sur trois rangées. Ils étaient séparés l’un de l’autre par une table de chevet qui s’ouvrait par le dessus et dans lequel les jeunes filles laissaient des objets de première nécessité.

— Tenez, c’est ici qu’il m’arrive de dormir parfois.

Un petit cubicule à l’entrée comportait un petit lit et une table de chevet.

— Cela m’arrive moins souvent maintenant à cause de mon arthrite.

— Il y avait donc de la surveillance des pensionnaires pendant la nuit.

— Évidemment. Ces petites filles-là sont très énergiques et dissipées aussi, comme je vous le disais. On doit éviter qu’elles s’agitent trop longtemps. La plupart du temps, il faut les faire taire parce qu’elles n’arrêtent pas de jacasser. Il arrive même qu’on doive en sortir une du lit d’une autre de temps à autre.

— Ah bon ! Comment cela ?

— Bah, plusieurs filles s’ennuient de leurs parents. Il leur arrive de trouver du réconfort auprès d’une autre fille. C’était bien innocent que tout cela.

Robinson regarda les lattes du plancher de bois, une attitude que ses collègues de Montréal lui connaissaient bien. C’était un moment d’intense réflexion chez lui.

— Et que deviennent les autres jeunes filles ? Attendez que je me rappelle : Georgina, Shannon et Adeline.

— Elles font leur vie maintenant. Deux d’entre elles sont mariées et ont des enfants.

— Et je suppose que c’est Adeline qui est toujours célibataire ?

— Précisément. Comment avez-vous deviné ?

— Parce que ça ne m’étonne pas. Adeline était la plus timide des quatre. C’était une petite orpheline. Elle avait perdu son père jeune et sa mère l’avait mise en pension parce qu’elle était malade et qu’elle ne pouvait pas s’en occuper. Pauvre petite !

Robinson regarda Don et dit.

— Bon, alors, nous vous remercions, sœur Émilienne. Vous nous avez bien aidés.

— Tant mieux. Je vais vous reconduire à l’entrée.

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