
18 mars, samedi matin
L’homme gisait sur le flanc, recroquevillé comme un animal blessé. La terre battue de la ruelle, gelée par les nuits encore froides de mars, était parsemée de traces de neige fondante mêlée à de la boue. Elle n’avait pas encore absorbé tout le sang qui s’était échappé de lui, formant une mare sombre, presque noire sous la lumière grise du matin. Des volutes de vapeur s’élevaient faiblement de la flaque, un contraste saisissant avec le froid ambiant. Ses yeux, grands ouverts, semblaient figés dans une expression de stupeur, comme s’il n’avait pas eu le temps de comprendre ce qui l’avait fauché. Un peu plus loin, sa casquette, souillée de terre et marquée de flocons de neige, avait roulé dans un coin, abandonnée comme un témoin silencieux.
Un cordon rudimentaire, tendu à la hâte devant la ruelle, bloquait l’accès à une étable reculée, nichée au fond de la cour. Sa façade en bois défraîchi, recouverte d’un léger givre, portait les marques silencieuses d’un passé de dur labeur. Devant l’entrée, deux constables, droits comme des piquets, montaient la garde. L’un tapotait nerveusement la crosse de sa matraque entre ses mains gantées, tandis que l’autre, visiblement épuisé, soufflait dans ses paumes pour tenter d’en chasser le froid mordant malgré la protection de ses gants de laine. Leurs mouvements saccadés, un pied battant le sol après l’autre, trahissaient leur lutte contre la bise glaciale.
Leur casaque bleu marine, croisée sur le devant, était ornée de larges boutons métalliques dorés, alignés avec une précision militaire. Une ceinture robuste, équipée d’une boucle en métal poli, ajustait le manteau à leur taille. À leur ceinture, des poches fonctionnelles et des étuis bien agencés complétaient l’uniforme. Sur leurs têtes, des képis avec leur forme cylindrique plate et leur visière rigide ajoutaient une touche finale à cette allure imposante et formelle, qui contrastait avec la rudesse de leur environnement hivernal.
Un cab noir de la police, sobre et austère, stationnait à l’ombre. Le cheval qui l’avait tiré, vêtu d’une couverture épaisse contre le froid, semblait indifférent au drame humain qui se jouait, concentré sur son sac d’avoine dont il mâchait méthodiquement le contenu, des flocons de neige tombant doucement sur son encolure.
Près du cadavre, un homme grand et massif était accroupi, observant la scène avec l’attention méticuleuse d’un vétéran rompu à ce genre de tragédies. Jack Kelly, détective de la police de Montréal, était une figure bien connue du quartier. Drapé dans un manteau de laine épaisse, usé par les années, il affichait une allure à la fois imposante et pragmatique. La coupe longue du manteau, descendant bien en dessous des genoux, lui conférait une silhouette structurée qui évoquait autorité et professionnalisme. Le large col à revers, légèrement relevé contre le vent glacial, portait encore quelques traces de neige et de boue, souvenirs des rues détrempées de Griffintown.
Ses bottines robustes, marquées par l’épreuve du temps, racontaient d’innombrables heures à arpenter les rues de Montréal. Entre ses mains calleuses, rougies par le froid après avoir retiré ses gants de laine, il faisait rouler distraitement son chapeau melon. Cet accessoire, devenu une sorte de signature personnelle, tranchait avec l’atmosphère sombre de la ruelle.
Kelly avait une stature imposante, semblable à celle d’un lutteur de presque six pieds de hauteur, avec des épaules larges et un visage buriné où se mêlaient la rudesse et une certaine chaleur. Ses cheveux châtains, courts et légèrement ondulés, encadraient des yeux bleus perçants, toujours aux aguets, comme un chien de chasse prêt à bondir. Des volutes de son souffle chaud se perdaient dans l’air glacé, ajoutant à l’atmosphère pesante de cette matinée d’hiver tardif.
Le jour était encore jeune, à peine 9 h, mais déjà chargé des échos de la veille. La Saint-Patrick, avec son cortège d’excès, avait tenu les policiers sur le qui-vive : bagarres éclatant dans les rues glissantes, petits larcins opportunistes, ivrognes titubants qu’il avait fallu ramasser dans la neige pour les conduire au poste. Une nuit agitée, certes, mais rien d’inhabituel dans ce quartier ouvrier où la misère et l’exubérance cohabitaient. Rien, sauf ce cadavre étendu là, immobile sur le sol durci par le gel, qui brisait la routine brutale de la fête.
Kelly, toujours accroupi, jetait de temps à autre un regard vers l’entrée de la ruelle, visiblement en attente de quelqu’un. Le vent froid s’engouffrait entre les bâtiments, soulevant de petites volées de neige fondante mêlée à la boue, mais il semblait à peine le remarquer.
Enfin, une silhouette familière apparut derrière le cordon de fortune. Les constables, emmitouflés dans leurs manteaux d’un bleu profond, se redressèrent comme un seul homme et saluèrent respectueusement l’arrivant. Ce dernier s’avança avec assurance, se pencha pour passer sous le cordon, puis marcha d’un pas mesuré jusqu’au cadavre, ses bottes robustes écrasant légèrement la neige molle sous ses pieds. Kelly se releva pour l’accueillir, époussetant distraitement quelques flocons accrochés à son manteau.
Silas Robinson, chef des enquêteurs, imposait sa présence avec une élégance naturelle, renforcée par une tenue irréprochable. Plus grand d’un pouce ou deux que son adjoint, il semblait dominer l’espace sans effort, insensible au froid mordant qui engourdissait les moins aguerris. Drapé dans un manteau de laine épaisse à la coupe impeccable, dont les boutons scintillaient sous une fine pellicule de givre, il offrait une image de maîtrise et de raffinement. Le manteau, soigneusement ajusté mais laissé ouvert, révélait un foulard de laine qui tombait en longues boucles autour de son cou.
En dessous, une veste brune parfaitement taillée soulignait la symétrie de sa silhouette, tandis qu’un pantalon assorti complétait l’ensemble avec une harmonie sans faille. Une chaîne d’or discrète, mais d’un éclat subtil sous la lumière froide du matin, reliait une montre à gousset précieusement dissimulée dans la poche de son gilet sombre. Chaque détail de sa tenue, du tissu épais à la précision des accessoires, témoignait d’un homme pour qui l’apparence était non seulement un art, mais une affirmation d’autorité et de contrôle.
Sous un chapeau melon impeccablement ajusté, à peine saupoudré de neige, son visage semblait taillé avec une précision presque sculpturale. Il n’avait ni barbe ni favoris, mais une moustache élégamment recourbée, maintenue en place par une cire qui semblait résister même aux caprices de l’hiver. Ses yeux, d’un brun noisette somme toute banal, étaient pourtant captivants grâce à ses sourcils épais et à l’intensité de leur éclat. Ce regard, perçant comme un poignard, semblait sonder l’âme des choses et des hommes. Lorsque Robinson posait les yeux sur quelqu’un, on avait l’étrange sensation qu’il pouvait voir au-delà de l’évidence, traquant les vérités cachées derrière le voile du visible.
Robinson observa le cadavre avec une distance froide, les bras croisés sur son manteau, sans même plier les genoux. Le silence pesant de la ruelle n’était troublé que par le craquement des bottines de Kelly sur le sol irrégulier, où neige et boue se mêlaient en une mosaïque informe, reflet de l’inconfort d’un hiver montréalais en fin de saison.
— Bonjour, chef. Je vous attendais, lança Kelly.
— Salut, Kelly, répondit Robinson d’un ton bref, mais cordial.
— Vous étiez où ? demanda Kelly.
— Comme c’était sur mon chemin, je suis passé voir Leclerc à l’Hôpital Général, répondit Robinson en détournant son regard vers la mare de sang coagulé.
— Comment va-t-il ? Ces salopards d’Irlandais, ils ne lui ont pas fait de cadeau, ajouta Kelly, avec l’amertume d’un Irlandais qui connaissait trop bien les excès de ses compatriotes.
— Pas fort. Il a la tête bandée comme une momie, un bras dans le plâtre, et un bandage qui lui comprime la poitrine. Son visage ? En charpie : œil tuméfié, nez cassé. Il va falloir qu’on le remette en place au plus vite.
Kelly émit un sifflement bas, secouant la tête.
— Pauvre Leclerc. Il va encore avoir plus de mal à faire chavirer les cœurs. Pas que c’était son point fort, si vous voulez mon avis. Avez-vous pu lui parler ? reprit Kelly, plus sérieux.
— Oui. Il était faible, mais conscient. Il a toute sa tête, même si elle est bien cabossée.
— Et ? Qu’est-ce qu’il vous a dit ?
— Pas grand-chose. Il a été pris à partie par des jeunes. Sans raison, semble-t-il.
— Où ça ?
— Rue Wellington, pas loin d’ici.
Un silence s’installa, pesant, mais pas inconfortable. Les deux hommes continuaient à fixer le cadavre, comme s’ils attendaient qu’il leur parle. Finalement, Kelly brisa la quiétude :
— Vous pensez qu’il pourra reprendre le travail ? On a besoin de lui.
— C’est sûr qu’on a besoin de lui. Mais pas tout de suite. Il faudra envisager de le remplacer temporairement. Leclerc est indispensable pour les recherches et les archives.
— Ah, oui, un vrai rat de bibliothèque, ce cher Émile, dit Kelly, en insistant sur son prénom avec un sourire mi-tendre, mi-taquin.
Robinson ne répondit pas. À la place, il se pencha lentement vers le cadavre en enlevant ses gants de laine. Ses mouvements étaient précis, presque chirurgicaux. Il observa chaque détail, chaque pli du vêtement, chaque éclat de lumière sur le sang séché.
— Aide-moi à le retourner, dit-il enfin à Kelly.
À deux, ils manipulèrent le corps avec soin, évitant de troubler la scène. La nuque et la mâchoire étaient rigides sous leurs doigts.
— La rigidité cadavérique est bien avancée, constata Robinson. Il est mort depuis plus de trois heures, probablement au beau milieu de la nuit.
— Ça me paraît clair, approuva Kelly, en se redressant avec un soupir.
Robinson scruta ensuite la plaie béante à l’abdomen, là où plusieurs coups de couteau avaient perforé la chair. La précision de son examen trahissait des années d’expérience.
— Voilà ce qui l’a tué, dit-il d’une voix calme, presque didactique. Il s’est vidé de son sang.
Il désigna la mare autour du corps d’un mouvement de la main. Kelly hocha la tête.
— Ça ressemble à un règlement de compte entre Irlandais. Ce n’est pas une première dans le quartier.Peut-être un marin ?
— Non. Regarde ses vêtements, répondit Robinson, en pointant les bottines solides et le pantalon usé aux genoux.
— Alors un ouvrier du canal Lachine ou un employé du Grand Trunk. Ils travaillent presque tous pour l’une ou l’autre de ces entreprises dans le coin.
— Peut-être. Mais il pourrait aussi être un étranger.
— Un étranger ? Kelly fronça les sourcils. Non, chef. Une bagarre qui a mal tourné entre deux Irlandais, j’en mettrais ma main à couper. La fête hier soir… Un regard de travers, un mot de trop, et ça dégénère vite.
— Peut-être, dit Robinson, d’un ton pensif.
— Ce sera vite réglé, croyez-moi.
Robinson tourna lentement la tête vers son adjoint. Il avait un air dubitatif.
— Quoi, chef ! C’est évident. Deux Irlandais. Une bagarre. Un couteau. Voilà, tout est dit.
Kelly mimait déjà des coups de couteau, son geste exagérément dramatique.
— Peut-être, répéta Robinson pour la troisième fois. Mais toutes les bagarres entre Irlandais ne finissent pas en bain de sang.
Kelly haussa les épaules, puis concéda :
— Vous avez raison, chef. En réalité, c’est rare.
Robinson se redressa lentement, ajustant son manteau d’un geste méthodique.
— Qui a trouvé le corps ?
— Un de ces deux-là, à l’entrée, répondit Kelly en désignant d’un coup de menton les constables en faction.
Les deux détectives se dirigèrent vers l’entrée de la ruelle, leurs bottes formant des traces sur le sol irrégulier. Robinson fixa le constable désigné et l’interpella sans détour :
— C’est toi qui as trouvé le corps ?
Le jeune homme, nerveux, hocha la tête en se mettant maladroitement au garde-à-vous.
— Oui, M’sieur ! lâcha-t-il, raide comme un piquet.
— Repos, soldat, dit-il avec une lueur d’ironie dans les yeux. C’est quoi ton nom ?
— Kelly, M’sieur, répondit-il, un brin hésitant.
À l’évocation de ce nom, Robinson arqua les sourcils, se tourna vers son adjoint, puis reporta son attention sur le constable avant de fixer à nouveau son collègue, un discret amusement dans le regard.
— Ne me regardez pas comme ça, chef, grogna Kelly en croisant les bras. Y’a pas qu’un seul chien qui s’appelle Fido ! Non, il n’est pas parent avec moi. De toute façon, la moitié des Irlandais s’appelle Kelly.
— Alors, Kelly, reprit-il en se tournant vers le constable, c’est toi qui as trouvé le corps ?
— Oui, M’sieur. J’étais en patrouille cette nuit.
Le constable s’arrêta là, comme si cette phrase résumait tout. Un silence gênant s’installa, les détectives attendant manifestement plus. Robinson croisa les bras, tandis que Kelly levait les yeux au ciel.
— Et… ? souffla Robinson, patient.
— Hé ben, je marchais sur la rue, ici. Il n’y avait plus grand monde, sauf quelques ivrognes qui zigzaguaient en se tenant aux murs pour rentrer chez eux.
Il se tut à nouveau, comme satisfait de son récit minimaliste. Cette fois, Kelly perdit patience.
— Mais continue donc, imbécile ! lança-t-il, une pointe d’agacement dans la voix.
Le constable baissa les yeux, semblant recevoir la remontrance comme un gamin pris en faute.
— Eh bien, en passant devant la ruelle, j’ai jeté un coup d’œil comme je fais toujours. C’est alors que j’ai vu une forme par terre, près de la porte de l’étable. D’abord, j’ai cru que c’était un gueux qui avait trouvé une place pour roupiller. Je me suis approché et je lui ai donné un petit coup de pied pour le réveiller… Ensuite, j’ai vu le sang.
Le silence revint, lourd de tension. Les détectives étudiaient le jeune homme sans mot dire. Finalement, le constable, visiblement mal à l’aise sous leurs regards perçants, poursuivit :
— J’ai sifflé comme un fou, dit-il en montrant le sifflet qui pendait à son uniforme par une chaînette. Pat est arrivé en courant, et on a « sécurisé la place ». C’est bien comme ça qu’on dit ?
— Tu es resté ici à garder la place ?
— Oui, M’sieur. C’est Pat qui est parti vous chercher avec la chaise de police.
— Et personne n’est venu jeter un œil ? Pas d’intrus ?
— Il y a bien eu quelques curieux ce matin, mais je les ai renvoyés illico, M’sieur.
— Tu n’as touché à rien depuis ? insista Kelly.
— À part le petit coup de pied… rien du tout. J’ai fait ce qu’on m’a appris à faire : sécuriser les lieux et attendre les autorités..
— T’as rien vu qui ressemblait à une arme ? Pas de couteau, par exemple ?
— Non, M’sieur. Rien qui pouvait être une arme.
Robinson hocha la tête, satisfait.
— Très bien. Va chercher un brancard dans le cab de police. Tu transporteras le cadavre au McGill College. Tu sais où c’est ?
— Oui, M’sieur. J’y suis déjà allé.
— Parfait. Tu demanderas le Dr Campbell, le doyen de la Faculté de médecine. Dis-lui que tu viens de ma part et que c’est urgent. Il comprendra.
Le constable acquiesça rapidement, presque soulagé d’avoir une tâche claire. Alors qu’il s’éloignait, Robinson se tourna vers Kelly.
— Ton homonyme a du potentiel, mais il faudra lui apprendre à parler. Si on doit lui tirer les vers du nez à chaque fois, ça va être long.
— On fera ce qu’on peut, chef. Au moins, il sait où est McGill.
Pendant que les constables s’activaient, leurs souffles formant de petites volutes dans l’air glacé, Robinson et Kelly s’engagèrent à nouveau dans la ruelle, leurs bottines s’enfonçant légèrement dans un mélange de neige fondante et de boue. La lumière blafarde du matin, filtrée à travers les nuages bas et réfléchie par les murs de briques humides, accentuait l’aura lugubre du lieu. De fines plaques de givre s’accrochaient encore aux ombres les plus froides, créant des reflets épars sous le regard attentif des enquêteurs. Le vent, s’insinuant entre les bâtiments, ajoutait une note de désolation à cette scène déjà morne, rendant chaque recoin plus hostile et insaisissable.
Kelly s’arrêta devant la porte de l’étable, une structure massive de bois renforcé de ferrures usées. Il la poussa du pied, mais elle ne bougea pas.
— Fermée à clé, dit-il en haussant les épaules.
Robinson s’approcha, examinant le chambranle d’un regard calculateur.
— À qui appartient cette étable ? demanda-t-il, les mains croisées derrière le dos.
— À la taverne de Kate Scanlan, répondit Kelly en se redressant.
Robinson haussa un sourcil, intrigué.
— Tu la connais, cette taverne ?
Kelly leva les mains en signe de protestation.
— Chef, pour qui me prenez-vous ? Vous savez bien que je connais tout des bas-fonds de cette ville.
Un sourire passa furtivement sur le visage habituellement impassible de Robinson. Encouragé, Kelly continua :
— C’est sans doute la taverne la plus populaire de Griffintown. Toujours pleine à craquer. Kate Scanlan est une sacrée bonne femme, un vrai dragon derrière son comptoir, mais elle sait faire tourner son affaire.
Robinson hocha la tête, absorbant l’information.
— Tu penses que notre macchabée a pu sortir de là ?
Kelly se gratta le menton, réfléchissant.
— Très probable. Hier soir, la taverne était bondée. On entendait les chants et les éclats de voix jusque dans la rue. Il y avait un tapage du diable.
— Alors, il faudra aller rencontrer cette dame Scanlan, conclut Robinson.
Kelly hésita un instant, chose rare chez lui. Il baissa légèrement les yeux, comme s’il pesait ses mots.
— C’est certain… mais…
Robinson, déjà attentif, lui lança un regard appuyé.
— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Kelly haussa les épaules avec un air faussement désinvolte.
— Ben, chef… Kate Scanlan n’est pas commode. C’est une Irlandaise. Une vraie de vraie. Et elle déteste tout ce qui n’est pas irlandais.
— Et alors ?
— Chef, ce n’est pas à moi de vous rappeler que vous êtes un British bastard, dit-il, les yeux pétillants.
Robinson se contenta d’un léger sourire, presque imperceptible.
— C’est vrai. Mais tu connais ma botte secrète avec les Irlandais.
— Ouais, votre gaélique est impeccable. Fìor Èireannach. On dirait presque un vrai Irlandais.
En effet, Robinson avait passé sa jeunesse à Limerick, où il avait appris le gaélique avec une telle maîtrise qu’il pouvait passer pour un compatriote. Son accent, son intonation, tout était irréprochable. Cela lui avait valu de se sortir de bien des situations délicates avec la communauté irlandaise.
Kelly sembla hésiter à nouveau, mais finit par lâcher :
— Il y a autre chose. Des rumeurs disent que la taverne de Kate est un repaire de Fenians.
— Ah ! Voilà qui complique un peu les choses, admit-il.
— Vous savez aussi bien que moi que ces radicaux irlandais détestent la Reine et tout ce qui porte un uniforme rouge. Ils n’hésitent pas à devenir violents.
— Oui, je le sais. Mais ça ne change rien. Nous avons un travail à faire.
Il se tourna vers son adjoint, l’œil résolu.
— Allons donc rencontrer cette dame Scanlan, dit-il, en avançant d’un pas ferme vers la sortie de la ruelle.