Un conte de Noël

Icône roumaine de Nicolas de Myre

Avertissement : La lecture de ce conte est déconseillée aux enfants de moins de dix ans.

Bordel ! Ce maudit costume n’a pas été lavé depuis des siècles. Il n’est plus rouge comme la couleur du Coca-Cola, mais marron sale. Je ne sais pas ce qu’a foutu la fée des étoiles pendant tout ce temps. Je gage qu’elle essaie encore ses robes de poupée Barbie, avec des paillettes brillantes et un bonnet pointu. À son âge ! Tellement ridicule. Puis ces lutins du Père Noël. Tous des fainéants ! J’ai toujours détesté leurs oreilles pointues, comme s’ils venaient de la planète Vulcain (c’est peut-être le cas d’ailleurs). Puis, cette pandémie qui n’en finit plus de finir ! Je devrai me retrouver cette année dans les centres commerciaux avec un Plexiglas entre les enfants et moi. Il y a au moins un avantage à cela : je ne me ferai pas dire que je pue de la gueule. Puis, je ne pourrai même pas entrer dans les maisons pour distribuer les cadeaux. Je vais devoir sonner et les laisser à la porte, comme un livreur d’UPS. En tout cas, je pourrai enfin déboulonner le mythe du passage par la cheminée. Je n’ai jamais fait ça. Jamais ! Vous m’avez regardé ? J’ai de la difficulté à attacher mes bottes le matin, alors pour la cheminée, on repassera.

Je ne sais pas comment il se fait que nous en soyons arrivés là. Je ne parle pas de la pandémie, mais du mythe de Noël : une vaste foire commerciale pour vendre encore plus de machins inutiles. Qui a eu cette brillante idée de s’approprier mon histoire pour en faire un tel étalage de mauvais goût? Je parviens à peine à me rappeler qui j’étais in illo tempore (« en ce temps là », pour ceux qui ne connaissent pas le chinois). 

Il fut un temps où j’étais un évêque respecté. Oui Môssieur ! Un vrai évêque, dans un trou perdu de Turquie, mais un évêque quand même. À cette époque, Ho-Ho-Ho, c’était il y a très longtemps — attendez que je me souvienne — oui, autour de l’an 300 que ma carrière d’évêque a commencé. On s’est mis à m’appeler Nicolas de Myre, parce que j’étais le chef religieux de cette ville. Il faut savoir qu’à cette époque je portais rarement du rouge, seulement pour les grandes occasions. J’avais aussi une mitre (pas une « mitt », les copains ! C’est pour jouer au baseball, une « mitt ». Pis, c’est en anglais en plus). C’était un grand chapeau qui permettait de nous voir venir de loin. En tout cas, même si je n’aimais pas ma mitre, ça reste encore mieux que ce bonnet ridicule, rouge encore avec de la fausse hermine (du vrai lapin, oui) et une boule blanche qui me pendouille dans la face par grand vent. 

Au IVe siècle, ce n’était pas une bien bonne période pour les évêques. Les maudits Romains, avec leur culte païen et leurs hérésies, ne voulaient pas que l’on prêche la vraie bonne nouvelle de l’Évangile. J’y ai goûté, je vous assure. Les Romains, ils s’y connaissent en toutes sortes de torture. Passons ! C’est parce qu’on ne m’écoutait plus que je me suis mis à être bon. Après tout, dans l’évangile, on dit quelque part que « les œuvres comptent plus que la foi ». Je ne suis pas certain que la citation soit correcte, mais vous comprenez ce que je veux dire. J’ai décidé d’aider les gens autour de moi. La meilleure période de ma vie. 

Je déteste le rouge. Ça fait voyant, puis on a l’air de quoi : des empereurs ? Des princes ? Pour faire la charité, c’est pas trop crédible, avouez. Je me suis habillé d’une simple bure grise et je parcourais la campagne sur le dos de mon âne. Par mauvais temps, je relevais mon capuchon pointu et vogue la galère ! Après un certain temps, les gens m’attendaient, moi et mes victuailles. Ils étaient tellement pauvres, les pauvres ! Les enfants s’agglutinaient autour de moi. J’avais prévu le coup et je leur donnais quelques fruits, un peu de noix et parfois des bâtons de cannelle. Vous auriez dû voir leurs yeux, à ces petits. Aujourd’hui, les enfants reçoivent une PlayStation et ils ne sont pas contents parce que papa l’a acheté d’occasion sur eBay. 

Il a circulé tellement d’histoires à mon propos après ma mort. Il paraît que mes os suintaient une huile miraculeuse. Je vous dis qu’il y en a eu des miracles en mon nom. Le plus connu serait arrivé de mon vivant. J’aurais « rabouté » trois enfants qui avaient été coupés en petits morceaux par un boucher. Vous vous rappelez la chanson : « ils étaient trois petits enfants qui s’en allaient glaner aux champs ». En plus, on la chantait aux touts petits. Brrr ! J’en ai froid dans le dos juste d’y penser. Franchement ! Vous y croyez-vous ? Comment fait-on ça, remonter des petits enfants comme ils étaient avant ? Ce n’est pas comme remonter une horloge que l’on aurait démontée pour s’amuser. Il y en a des fadaises qui se sont contées en mon nom. 

Et voyez ce que je suis devenu aujourd’hui ! Regardez-moi : un joufflu habillé comme un clown qui parcourt le monde dans un chariot tiré par des rennes trop saouls pour savoir où ils vont. Et si cette pandémie arrivait à changer tout cela ? Si nous parvenions à retrouver le vrai sens de Noël, celui de la bonté envers les autres, celui de la décence et de la dignité vis-à-vis de nos semblables ? Plus de cadeaux débiles ! Plus d’embrassades hypocrites ! Plus de faux-semblants ! Seulement des êtres humains qui se reconnaissent comme tels, qui prennent soin les uns des autres, des hommes et des femmes solidaires capables de se mettre ensemble afin que cette terre devienne plus vivable. 

Un beau rêve que cela. Je ne suis même pas certain d’y croire. 

Ah, et puis merde ! Allez tous vous faire … ! J’abandonne ! Je reste ici cette année, au chaud devant mon foyer, en combine à grandes manches, à manger des chips et à boire du Pepsi. Tant pis pour ma ligne et mon diabète! Il faut bien mourir un jour de quelque chose. Oups! J’oubliais que j’étais immortel. Pas de chance… pour vous surtout!