Quelle imagination!?

Calliope

J’ai reçu des commentaires de quelques lecteurs et lectrices qui, ayant lu mes romans ou mes contes, me disent comment ils me trouvent imaginatif. Je reçois cette remarque évidemment comme un compliment, même si je ne suis pas certain qu’il soit mérité. 

Je ne sais pas comment fonctionnent les autres écrivains, mais quant à moi, j’ai besoin de deux choses pour écrire un roman, ou même seulement pour le commencer : un contexte et un canevas de base. Sans ces deux éléments, je ne peux rien faire. 

Pour ce qui est du contexte, jusqu’à maintenant c’est ce qui me demandait le plus de réflexion. Je dis « jusqu’à maintenant » puisque dorénavant, je m’intéresse au détective Silas Robinson qui œuvre dans le Bas-Canada autour des années 1850. J’ai donc résolu de cette façon ma difficulté à trouver le contexte. Pas si simple pourtant, car il faut une bonne dose de travail pour ne pas sombrer dans l’erreur et l’anachronisme. Il est vrai que plusieurs de mes ouvrages font appel à des contextes diversifiés, que ce soit la guerre en Syrie (Les suppliantes) ou encore la période de la grande dépression à Montréal (Une orchidée dans le jardin d’hiver) ou un village de pêche éloigné dans Le Legs d’Andréa. Dans l’histoire de la jeune fille perdue dans la toundra (La femme qui aimait le froid), le contexte a surgi de l’histoire même, celle d’une femme « gelée » par ses problèmes personnels. Incidemment, quelqu’un connaissant bien la région du Grand Nord a voulu savoir quand j’avais eu l’occasion d’y aller tellement il trouvait la description réaliste. Or, je n’ai jamais mis les pieds dans le Nunavik. La touche magique du romancier, sans doute !

En ce qui a trait au canevas de base, je me souviens avoir été frappé par l’origine du grand roman de Flaubert, Madame Bovary. Il s’agissait tout simplement d’un fait divers paru dans les journaux de l’époque : le suicide d’une bonne bourgeoise dans une ville de province en France. Un simple fait divers ! Évidemment, le livre est un chef-d’œuvre et n’est pas Flaubert qui veut. Mais combien d’autres romans s’appuient sur des événements souvent anodins pour raconter leur histoire ? 

Car, il ne faut pas l’oublier, écrire un roman, c’est avant tout raconter une histoire. C’est du moins ma conception romanesque avec laquelle je sais que certains seraient en désaccord, et c’est leur droit. Quand je lis un roman, je redeviens un enfant à qui l’on raconte une histoire et qui est emporté par le récit. Lorsque j’en écris un, je veux obtenir le même résultat auprès de mes lecteurs éventuels. Pour cela, j’ai besoin d’un canevas de base. Dans le cas de mes romans, ce ne sont pas des faits divers qui sont à l’origine de mes histoires, mais des récits de la mythologie grecque. Plusieurs de ces récits sont tirés des tragédies d’Eschyle et d’Euripide. La plupart de mes romans, y inclus le tout dernier qui est un roman policier (Les crimes du manoir Debartzch), sont des interprétations de certaines de ces tragédies. Je découvre en effet chez les Grecs anciens des ressorts dramatiques inattendus et tellement contemporains qu’il m’a semblé possible d’en faire une sorte d’adaptation pour aujourd’hui. De quelles tragédies s’agit-il ? À vous de le découvrir. 

Cela répond en partie à la question de départ : où trouvez-vous l’imagination pour construire votre récit ? En fait, je n’ai pas suffisamment d’imagination et il me faut usurper mes histoires. Remarquez, je ne suis pas le seul. C’est Umberto Eco qui écrit dans une apostille à son roman Le nom de la rose : « Les livres parlent toujours d’autres livres, et chaque histoire raconte une histoire déjà racontée ».

Voilà quelques brèves réflexions qui ne permettront pas de répondre entièrement à la question du titre de ce billet. Peut-être donneront-elles néanmoins quelques explications sur l’origine « mystérieuse » d’un bon nombre de récits romanesques qui ne font pas toujours appel, tant s’en faut, à cette imagination créatrice débordante que Malebranche appelait la folle du logis. Plusieurs auteurs seraient d’accord avec moi pour affirmer que nous sommes plus des usurpateurs que des inventeurs, même s’ils sont peu nombreux à l’avoir dit publiquement.